Le vin de Toscane est aujourd’hui parmi les vins italiens les plus reconnus. L’origine du sangiovese -cépage toscan par excellence- est particulièrement intéressante. Il fut développé au 19ième siècle par le descendant d’une vielle famille aristocratique : le baron Bettino Ricasoli.
La famille Ricasoli dit produire du vin en Toscane depuis l’an 1141. C’est cependant au 19ième siècle que cette famille se tournera activement vers la production de vin. À cette époque, le baron Ricasoli abandonne en effet le mode de vie faste de la noblesse florentine (les palais, la présence à la cour et aux théâtres, les carrosses, etc.) pour venir s’établir de manière stable dans son château de Brolio. Ricasoli s’improvise alors entrepreneur agricole veillant directement à la mise en culture de ses propriétés.
Deux facteurs le poussent à agir de la sorte. D’une part, ce sont principalement les problèmes financiers que sa famille a accumulés dont il réussit à s’acquitter seulement grâce à son mariage et à la dote de sa femme. Mais également, c’est la fin d’une époque. Nous sommes aux lendemains de la Révolution Française et à la veille de l’Unification de l’État Italien. C’est l’affirmation du Capitalisme en Europe et l’adhésion à une nouvelle vision « bourgeoise » du monde. Il existe ainsi un mouvement de nobles qui abandonnent la mentalité aristocratique et urbaine pour aller s’établir à la campagne et vivre de manière bourgeoise. Ainsi, le Baron Ricasoli abandonne la vie de nobles rentiers pour se transformer en propriétaire industrieux.
À cette époque, partout en Europe, on assiste à l’émergence d’associations d’agronomie et à l’introduction de méthodes scientifiques au sein de la production agricole, mouvement auquel participe le Baron Ricasoli. Il investit ainsi dans ses établissements agricoles de campagne, en construisant par exemple des routes pour faciliter le transport des marchandises. Mais un problème demeure : les campagnes du Chianti n’ont pas beaucoup de produits à envoyer plus loin que les marchés locaux. Les deux produits locaux traditionnels d’exportation sont l’huile et le vin.
Au 19ième siècle, les vins du Chianti ne s’exportent guère sur de longues distances, entre autres en raison de la présence d’autres pays producteurs tel la France et le Portugal qui fournissent les pays non-producteurs du nord de l’Europe. À cette époque, la production de vin sert essentiellement des fins de consommation domestique. Ainsi, les vins ne voyagent pas beaucoup, puisque en Italie chaque région produit se qu’elle consomme. Les échanges s’effectuent alors principalement entre les centres urbains et les campagnes avoisinantes. Quelques vins, profitant de la reconnaissance des grands de ce monde, voyagent sur de longues distances, mais en quantité limitée.
Il faut donc au Baron Ricasoli, s’il veut exporter son vin, en améliorer la qualité du vin du Chianti pour le promouvoir aux rangs des grands vins.
Le Baron Ricasoli décide ainsi d’améliorer, dans un premier temps, les systèmes de culture. Cependant, ceci ne se fait pas sans difficultés, principalement en raison du mode de production agricole traditionnel. Avant les années 1950, la production agricole en Toscane était organisée selon le système agraire de la mezzadria, forme de métayage associée aux régions du centre de l’Italie et possédant partout une organisation assez homogène.
Le système de mezzadria était fondé sur un contrat entre un propriétaire et une famille de métayer. Or, le système de mezzadria comportait une logique de production s’appuyant sur des considérations provenant de deux niveaux différents. À un niveau, le propriétaire agissait dans une perspective orientée vers le marché, y écoulant la majorité de sa part de la production. À un autre niveau, le métayer à la tête d’une ferme était principalement préoccupé par la subsistance de sa famille. Ainsi, ce qui intéressait ces derniers, c’étaient avant tout une culture abondante. De ce point de vue, le Baron Ricasoli rencontra de la résistance de la part de ses métayers. Ceux-ci étaient principalement intéressés par une production abondante de vin, alors que lui désirait des rendements inférieurs, mais de meilleurs qualités. En modifiant les termes du contrat, le baron réussit néanmoins à obtenir le type de culture de la vigne qu’il désirait.
Une fois le problème de la culture du raisin réglé, il fallait au Baron améliorer les méthodes de vinification. À cette fin le Baron entrepris en 1850 un voyage en France. Il visita plus attentivement le Médoc, mais également d'autres régions française où la viticulture constituait la principale ressource économique. Il se rendit ainsi dans le Beaujolais, en Bourgogne et dans le Languedoc. Il s’intéressa à la taille, mais son attention se porta essentiellement aux travaux de vinification et de vieillissement du vin.
De son voyage, il rapporta quantité d’informations. Il ramena même un maître de chais pour avoir des conceils. De retour chez lui, Ricasoli poursuivra plusieurs expérimentations entre 1851 à 1876, d'une part afin de sélectionner les meilleurs cépages locaux et d'autre part pour améliorer les méthodes de vinification locales. C’est ainsi qu’il identifiera les meilleurs clones de sangiovese, cépage principal du Chianti, et qu'il déterminera les meilleurs assemblages à suivre. Les travaux et expérimentations du Baron Ricasoli l’amèneront ainsi à élaborer et définir le vin de Chianti tel que nous le connaissons aujourd'hui.
Source: BIAGIOLI, Julia, 1998: "À la recherche de la qualité du vin: le baron Ricasoli dans le Médoc en 1851" Dans MAYRAUD, Jean-Luc (dir.), Clio dans les vignes. Mélanges offerts à Gilbert Garrier, Lyon: Presses universitaires de Lyon, pp. 103-116.